24 mai 2023

Interview d’Emmanuel Gastaud, champion du monde des transplantés en triathlon sprint master

Photos : DR

Il y a quelques semaines à Perth en Australie, Emmanuel Gastaud est devenu champion du monde des transplantés en triathlon sprint master (3eme au scratch). Interview. 

 

Peux-tu te présenter ?

 

Je m’appelle Emmanuel Gastaud, je vis à Cagnes-sur-Mer dans les Alpes-Maritimes. J’ai deux enfants et je travaille pour le Parc national du Mercantour. J’ai attrapé le virus du triathlon en 2016 et je suis aujourd’hui Président de l’US Cagnes Triathlon.

 

Depuis quand es-tu transplanté ? Pourquoi as-tu dû subir cette opération ?

 

À la naissance, j’ai eu un souci de santé (valve à l’urètre avec reflux) et j’ai perdu 1 rein à l’âge de 3 mois, le deuxième a été altéré. J’ai vécu normalement jusqu’à l’adolescence avec un suivi médical proche et quelques péripéties de santé. 

À 17 ans je suis passé en dialyse quelques mois avant une première transplantation. La greffe a duré 10 ans. Puis, je suis retourné en dialyse. Quatre ans après, en 2011, j’ai été à nouveau greffé d’un rein. 

 

Au bout de combien de temps as-tu pu reprendre le sport ? Quelles ont été tes premières séances ?

 

Dans ma famille, on a toujours été sportif. Ma sœur était sportive de haut niveau en snowboard et mes parents ont toujours fait beaucoup de montagne et d’alpinisme. Le sport a toujours été une thérapie physique et psychologique pour mieux affronter mes difficultés de santé. 

La greffe est une véritable renaissance. Lors de ma deuxième greffe, je suis resté 8 jours à l’hôpital et j’ai très rapidement repris le sport. Dès la cicatrisation, trois semaines après l'opération, j’ai recommencé à courir. D’abord ⅘ km lentement plusieurs fois par semaine. Un mois et demi après la transplantation, je courais déjà tranquillement 30 km en trail avec des amis.  

 

Avant le championnat du monde, quel était ton volume hebdomadaire d'entraînement ? Ton médecin t'impose-t-il des limites ?

 

Pour préparer cette compétition, je me suis fait accompagner pendant 6 mois, à raison d’une dizaine d’heures d’entraînements spécifiques par semaine. J’ai même nagé en mer dès le mois de mars dans une eau à 13 degrés !! Un exploit pour le frileux que je suis. Entre activité professionnelle, suivi médical et gestion de la vie personnelle, je ne pouvais pas faire plus car nous n’avons pas de statut particulier nous permettant de dégager du temps pour nous entraîner. 

Il y a effectivement des restrictions médicales avec une transplantation rénale : ne pas aller dans le rouge ou au bout physiquement et faire extrêmement attention à la déshydratation. Il faut préserver le greffon et de trop longs efforts intenses peuvent abîmer le rein. Je respecte cela même si parfois se retenir est frustrant. 

 

Avais-tu participé à d'autres compétitions en tant que transplanté avant ce championnat du monde ?

 

En 2019, j’ai participé aux World transplant Games qui se sont déroulés à Newcastle en Angleterre. J’ai obtenu la médaille d’argent en triathlon, mais c’était un cumul des temps de trois disciplines. Autrement, j’ai participé à plusieurs Jeux nationaux des transplantés. Je prend part aussi à des épreuves ouvertes à tous, avec mon club en solo ou avec d’autres transplantés. J’ai par exemple réalisé quelques beaux triathlons : NatureMan, épreuves du 70.3 et dernièrement le Raid NatureMan avec 3 autres transplantés en relais. 

 

Fallait-il passer par des qualifications avant ce championnat du monde ? Quelles étaient les conditions de participation ?

 

Les transplantés sportifs ne sont pas si nombreux. Tous ceux qui veulent venir le peuvent. Il faut cependant prouver qu’on a les compétences pour participer. Mais comme nous ne sommes pas subventionnés ou aidés, nous devons nous débrouiller pour trouver des partenaires et des financements. Lors des World Transplant Games, il y a aussi des sportifs qui sont là juste pour participer. C’est déjà une victoire pour nous d’être là avant même la compétition. 

 

Avec qui as-tu effectué le déplacement en Australie ?

 

Nous sommes partis avec l’équipe de France des transplantés qui est portée par l’association Trans-Forme. Lors de ces Jeux mondiaux, nous étions 30 dans la Team France tous sports confondus. 

Avec les accompagnants, cela faisait une belle délégation ! Dans l’équipe, il y a tous les âges et toutes les greffes : cœur, rein, foie, cellules souches… 

Nous avons tous cette volonté de montrer que le don d’organes permet de sauver des vies, de vivre des moments intenses et de se dépasser lors de cette compétition. Nous terminons finalement 8e au classement des médailles par nation sur 50 pays. 

 

Combien de concurrents étaient au départ de ce championnat du monde ? Quelles étaient les distances à parcourir ?

 

Nous étions une centaine tous âges confondus au départ du triathlon. Mais plus de 2 000 sportifs sur l’ensemble des disciplines. 

 

Comment s'est passée ta course ? As-tu connu des moments difficiles ?

 

C’était un Sprint avec seulement 500 m natation, 20 km de vélo et 5 km à pied. Une distance très intense pour nous greffés. J’ai rarement été aussi stressé sur la course. Sûrement à cause de tout le travail fourni, de la concurrence et du fait de savoir que c’est une rare course ou je pouvais jouer la gagne. 

Mais c’était un bon stress qui m’a, avant tout, permis de me concentrer. Depuis plusieurs mois, je me faisais la course dans ma tête et tout s’est déroulé comme prévu. 

J’étais très concentré et je savais ce que j’avais à faire.  

J’ai d’abord démarré rapidement en natation pour être dans les premiers. Une fois à la tête d’un petit groupe, j’ai stabilisé ma nage. En temps normal, dans des compétitions qui ne sont pas réservées aux transplantés, je suis dans le gros du paquet. Me retrouver en tête de course est très euphorisant et motivant. La course prend un côté aussi tactique. 

J’étais très concentré. La T1 s’est très bien passée. J’enfourche le vélo en tête de la catégorie. Je me mets très rapidement à 90%, peut-être même plus car mon capteur de puissance a buggé. Le vélo était plat et la position aéro indispensable. Avec mes cuisses de mouche et mes 62 kg, j’ai une préférence pour quelques petites bosses 😉 !  

Si la descente du vélo est bonne, je perds 10/20 secondes avec mes chaussures ! Je sais pourtant que sur un S la course se joue sur les transitions !!  Il fait très chaud sur la course à pied, sans arbre et en deux boucles. Je pense à m’hydrater sans perdre de temps, et à m’arroser à chaque boucle. A 3 km du but, je vois Bart, mon ami hollandais et adversaire principal qui est suffisamment à distance mais je ne dois pas traîner pour autant 30 secondes peuvent être vite rattrapées. Je maintiens le rythme et accélère sur les 100 derniers mètres. 

 

Qu'as-tu ressenti au moment de franchir la ligne d'arrivée ?

 

Les derniers mètres sont un mélange de joie, d’incompréhension et de fierté. Je passe la ligne avec le sourire aux lèvres. C’est un moment magique qui restera en moi. C’est une sensation que je vis pour la première fois. Envie de crier, de pleurer et de remercier tout ceux qui m’ont supporté, accompagné et bien sûr ceux qui nous ont sauvés et permis de vivre cela : les donneurs, mon donneur qui, par ce geste altruiste, permettent de sauver des vies. C’est un moment intense, personnel et très puissant.  

Quels seront tes prochains objectifs ?

 

Tout d’abord je vais prendre du temps avec ma famille, mes enfants. Me remettre aussi du voyage, reprendre mon travail. Le prochain objectif est l’organisation du triathlon de Cagnes-sur-Mer (Challenge Family) qui aura lieu le 11 juin 2023; c’est aussi important et formateur d’être de l’autre côté. Lors de ce triathlon, j’organise aussi les relais de l’espoir : des équipes relais composées de transplantés, de leur soignant et d’un proche pour symboliser la chaîne du don d’organes. Quelques triathlons plaisir ensuite et en relais le NatureMan avec des amis transplantés. Mais les autres échéances vont vite arriver avec, en 2024, les jeux d’hiver des transplantés à Bormio en Italie; puis les championnats européens des transplantés à Lisbonne en août 2024. 

 

As-tu un message à faire passer aux personnes transplantées ?

 

C'est aussi l’un de mes objectifs depuis ma deuxième greffe et la création de mon association Montagnes d’espoir : inciter les personnes en attente de greffe de vivre leurs passions malgré la maladie. C’est aussi dans ce cadre que je communique. Ne jamais perdre espoir, montrer que l’on peut s’en sortir et qu’il est possible de vivre ses rêves malgré les soucis de santé.

C’est vrai que dans mon parcours de santé j’ai la chance d’avoir un caractère qui me permet d’aller de l’avant et de ne pas avoir plusieurs pathologies. Mais je reste persuadé que la réhabilitation dans la société, dans sa vie perso post-opération n’est pas simple car c’est un gros chamboulement. Mais avec un peu de courage, on peut aller loin. Cette médaille est pour moi un rêve de gosse et j’y ai toujours cru. Alors si je peux donner un peu d’espoir aux autres transplantés, ce sera également un belle récompense.